Quand le président de la République a lancé l’idée d’un Grenelle de l’insertion, alors qu’il visitait l’une de nos associations à Dijon, nous avons été parmi les premiers à nous engager dans la démarche. Cela nous est apparu comme une chance. Nous avons accepté de présider le groupe sur les parcours d’insertion, et nombre d’entre nous ont travaillé pour faire remonter des expériences, des réussites, des échecs, des témoignages qui pourraient alimenter la réflexion commune et contribuer à améliorer le système actuel.
Voici une série de témoignages qui présentent ce qu'est l'insertion par l'activité économique, telle qu'on la vit aujourd'hui, et ce qu'on souhaite qu'elle devienne pour toutes les personnes qui en ont besoin.
Notre ambition pour l'insertion
En tant qu’acteurs de l’insertion, nous avons voulu participer à une réflexion globale et à la définition d’une politique qui réduirait de manière durable la pauvreté, notamment grâce à la généralisation du Revenu de Solidarité Active créé par la commission présidée par Martin Hirsch deux ans plus tôt, commission à laquelle nous avons participé. Nous pensions aussi que c’était l’occasion de revaloriser notre activité, à savoir l’insertion sociale et professionnelle, une activité qui se situe à la charnière entre l’assistance et l’emploi.
L’insertion, c’est ce que nous faisons dans les structures d’insertion par l’activité économique. Nous accueillons des personnes qui n’ont jamais travaillé ou n’ont plus, à un moment donné, les compétences pour le faire, des gens qui ne sont pas en forme et qu’il faut inciter à se soigner, des gens qui ont traversé une crise familiale et qui sont trop déboussolés pour s’engager dans une relation de travail. Nous les aidons à remettre le pied à l’étrier. Nous ne sommes pas seulement des passeurs vers l’emploi. Nous sommes des accompagnateurs qui essayons de prendre en compte toutes les facettes des difficultés rencontrées par ces personnes en souffrance sociale. Nous sommes des professionnels, des techniciens qui faisons découvrir les gestes d’un métier et les contraintes de l’entreprise. Nous sommes aussi des assistantes sociales et des conseillers d’insertion. Nous cherchons un logement si la personne est à la rue, nous l’orientons vers des soins si nécessaire, nous trouvons les financements du permis de conduire si c’est un blocage à la reprise d’emploi, nous l’accompagnons dans ses démarches auprès des services bancaires, nous cherchons des solutions pour la garde des enfants, nous l’aidons dans ses démarches administratives, etc. Nous continuons d’être là à ses côtes quand il est intégré dans une entreprise classique, pour être là au cas où il faut déminer un malentendu. Certains retrouveront très vite le chemin de l’entreprise, d’autres devront être soutenus longtemps avant d’intégrer les contraintes des horaires, le respect des consignes, le rapport à l’employeur et le plaisir du travail.
D’une manière générale, ces services d’accompagnement que proposent les structures d’insertion ne sont pas pris en compte à leur coût réel. Si aujourd’hui l’Etat est notre interlocuteur, il a vite fait de nous renvoyer vers les départements, les régions, l’Europe voire la charité publique pour boucler nos comptes d’exploitation.
Pourtant, par notre action, nous avons la conviction de contribuer à la cohésion sociale de notre pays et d’éviter la dérive des continents sociaux. Nous avons le sentiment que notre réflexion ne se limite pas à des mesures de défense du monde associatif mais qu’elle porte sur un véritable projet de société. Nous sommes certains qu’en demandant des conditions de fonctionnement « rassurantes » pour les équipes de professionnels de l’insertion socioprofessionnelle, nous offrons aussi des conditions d’insertion « rassurantes » pour les gens qui sont accueillis.
Or, notre secteur a toujours été précaire, comme le sont les gens qu’il accueille ! Les moyens financiers affectés aux associations d’insertion fluctuent au gré des chiffres du chômage, selon qu’on souhaite les corriger ou les afficher. D’une certaine manière, les personnes en emploi d’insertion sont une variable d’ajustement : lorsqu’il faut faire baisser les chiffres du chômage, les pouvoirs publics nous donnent les moyens de les accueillir et de travailler avec elles. Quand la conjoncture générale est bonne en termes d’emploi et qu’il n’est plus nécessaire de sortir quelques chômeurs des statistiques en les transformant en « salariés en insertion », les structures d’insertion sont asphyxiées et n’ont aucune visibilité au-delà de quelques mois. Voilà le cadre dans lequel nous travaillons aujourd’hui, bien loin d’un projet ambitieux d’insertion sociale qui aurait les moyens de ses ambitions, qui devrait atteindre des objectifs chiffrés, dont les résultats seraient évalués et les actions réorientées, pour être optimisées.
Pourtant, si notre travail a un coût pour la société, il produit aussi des richesses : les salariés en insertion produisent des biens et des services (aide à domicile, entretiens des espaces verts, etc.). Les structures d’insertion paient des charges sociales et font travailler fournisseurs et sous traitants. Surtout, 70% qui passent dans nos associations retrouvent une situation stable. C’est beaucoup mais trop peu. Aujourd’hui, nous sommes bien incapables d’accueillir tous ceux qui en ont besoin. Seuls 230 000 personnes passent chaque année dans les structures d’insertion, alors qu’on compte 1,1 million de personnes au RMI et plus de 1,1 million de jeunes de 16 à 25 ans sans emploi et sans formation. Cela veut dire que nous nous occupons de quelque 10% des plus fragiles socialement et professionnellement.
C’est pourquoi, à quelques jours de la clôture des travaux du Grenelle de l’Insertion, nous voulons rappeler ce que nous attendons. Nous avons porté plusieurs propositions :
1- le Contrat Unique d’Insertion qui simplifiera la vie des personnes en insertion, leur permettra de ne pas être mis dans des cases qui ne sont jamais les bonnes, d’aller plus vite vers l’entreprise quand ils peuvent aller plus vite et de prendre le temps qu’il faut si nécessaire
2- la sécurisation des moyens alloués aux structures afin qu’elles puissent correctement assurer leur rôle auprès des plus éloignés de l’emploi
3- des conditions d’accompagnement modulables qui répondent aux différents problèmes sociaux des personnes accueillies
4- l’attribution du revenu de Solidarité Active aux jeunes. La question de la prise en charge des jeunes majeures est cruciale pour l’avenir de notre pays et nous la mettons régulièrement en avant
5- une nouvelle définition des missions du nouveau Service Public à l’Emploi, auquel toutes les personnes dites en insertion pourront s’inscrire. Un des enjeux du nouveau Service Public à l’Emploi sera d’intégrer l’insertion professionnelle ET l’accompagnement dans sa mission
6- l’accès à la formation professionnelle des publics qui en ont le plus besoin. En-effet, actuellement, les salariés peu ou pas qualifiés, les chômeurs ou les exclus, qui devraient être les principaux bénéficiaires de la formation professionnelle, n’en profitent pas suffisamment.
Toutes ces propositions, nous sommes venus les défendre au Grenelle de l’Insertion. Elles constituent le socle d’une politique publique de l’insertion ambitieuse. Nous nous sommes mobilisés pour que les personnes les plus fragiles aient une deuxième, voire une troisième chance. Avec 7 missions de personnes qui vivent en-dessous du seuil de pauvreté, nous ne nous situerons pas à la hauteur des enjeux en agissant à la marge, en aménageant des dispositifs existants au coup par coup. C’est une véritable politique publique de l’insertion qu’il faut porter. C’est ce que nous attendons du Grenelle.
Eric PLIEZ, président de la commission Emploi - formaiton de la Fnars
Commentaires